La machine Magritte

Le Museo Nacional Thyssen-Bornemisza organise la première rétrospective à Madrid sur l’artiste belge et surréaliste de premier plan René Magritte (1898-1967) depuis l’exposition organisée à la Fundación Juan March en 1989. Son titre, La machine Magritte, souligne l’élément répétitif et combinatoire présent dans le travail de ce peintre, dont les thèmes obsessionnels reviennent constamment avec d’innombrables variations. L’imagination débordante de Magritte a donné lieu à un très grand nombre de compositions audacieuses et d’images provocantes qui modifient la perception du spectateur, interrogent notre réalité préconçue et provoquent la réflexion.

René Magritte. rêve, 1945. Musée d’art Utsonomiya, Japon

Commissariat de Guillermo Solana, directeur artistique du musée, La machine Magritte bénéficie de la collaboration de la Communauté de Madrid et présente plus de 95 peintures prêtées par des institutions, des galeries et des collections privées à travers le monde, grâce au soutien de la Fondation Magritte et de son président Charly Herscovici. L’exposition est complétée par une sélection de photographies et de films amateurs de Magritte lui-même qui fait partie d’une exposition itinérante organisée par Xavier Canonne, directeur du Musée de la Photographie de Charleroi, et qui sera désormais présentée dans une installation spéciale, grâce à l’aimable autorisation des Éditeurs Ludion. Après sa présentation à Madrid, la machine Magritte sera visible au Caixaforum de Barcelone du 24 février au 5 juin 2022.

Mes peintures sont des pensées visibles

En 1950, René Magritte et certains de ses amis surréalistes belges réalisent un catalogue des produits d’une société coopérative supposée, La Manufacture de Poésie, qui comprenait des éléments destinés à automatiser la pensée et la création, y compris “une machine universelle pour faire des peintures”, décrite comme “très simple à utiliser, à la portée de tous” et qui pouvait être utilisée pour “composer un nombre presque illimité de peintures pensantes.”

René Magritte. anniversaire, 1959. Collection du Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto

La machine à peindre avait des précédents dans la littérature d’avant-garde, comme ceux conçus par Alfred Jarry et Raymond Roussel, précurseurs du surréalisme dont les inventions mettaient l’accent sur le processus physique de la peinture, bien qu’à travers des concepts opposés: chez le premier, la machine tournait et pulvérisait des jets de peinture dans toutes les directions, tandis que celle du second ressemblait à une imprimante produisant des images photo-réalistes. Le dispositif décrit par les surréalistes belges est différent et était destiné à générer des images qui étaient conscientes d’elles-mêmes. La machine Magritte est une machine métapictorielle, une machine pour produire des peintures pensantes et qui réfléchissent sur la peinture elle-même.

Depuis ma première exposition, en 1926 […] J’ai peint mille tableaux, mais je n’ai pas conçu plus d’une centaine de ces images dont nous parlons. Ces mille tableaux sont le résultat du fait que j’ai souvent peint des variantes de mes images : c’est ma façon de mieux définir le mystère, de mieux le posséder.

René Magritte. Valeurs Personnelles, 1952. Musée d’Art Moderne de San Francisco

Magritte définit sa peinture comme un art de penser. Malgré son opposition bien connue à l’automatisme en tant que procédure centrale du surréalisme, il semblait conférer une valeur intellectuelle à la dépersonnalisation et à l’objectivité de cette auto-reproduction de son œuvre. La machine Magritte n’est pas cohérent et fermé à la manière d’un système; il s’agit plutôt d’une procédure interactive impliquant la découverte. Il est également récursif car les mêmes opérations se répètent constamment mais avec des résultats différents à chaque fois.

Tout l’art de Magritte est une réflexion sur la peinture elle-même, une réflexion qu’elle entreprend en utilisant le paradoxe comme outil fondamental. Ce qui se révèle dans une peinture, par contraste ou contradiction, n’est pas seulement l’objet mais aussi sa représentation, la peinture elle-même. Lorsque la peinture se limite à reproduire la réalité, la peinture disparaît et ne réapparaît que lorsque le peintre met tout en jeu : la peinture ne devient visible qu’à travers le paradoxe, l’inattendu, l’incroyable et l’étrange.

René Magritte. Panorama pour la population, 1926. Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf

Pour atteindre cet objectif, Magritte a utilisé les ressources classiques de la métapeinture, de la représentation de la représentation (la peinture dans le tableau, la fenêtre, le miroir, la figure vue de derrière) qui deviennent des tromperies dans son travail. La présente exposition analyse ces dispositifs métapictoriels, qui sont le fil conducteur des différentes sections. La première section s’intitule  » Les pouvoirs du magicien  » et comprend divers autoportraits qui explorent la figure de l’artiste et les superpuissances qui lui sont attribuées. La section suivante est « Image et parole“ qui se concentre sur l’introduction de l’écriture dans la peinture et dans les conflits générés entre signes textuels et figuratifs, suivie de la troisième section, ”Figure et arrière-plan », qui examine les possibilités paradoxales générées par l’inversion de la figure et du fond, de la silhouette et du vide. « Image et fenêtre » analyse la peinture à l’intérieur de la peinture, qui est le motif métapictorial le plus courant de Magritte, tandis que “Visage et masque” se concentre sur la suppression du visage dans le corps humain, l’un des dispositifs les plus fréquemment utilisés par Magritte. Les deux dernières sections examinent les processus opposés de métamorphose, à savoir le ”Mimétisme“ et la ”Mégalomanie ». La première introduit la fascination de Magritte pour le camouflage animal, qu’il a transféré aux objets et aux corps qui se cachent dans leur cadre, se dissolvant dans certains cas dans l’espace, tandis que la dernière section présente le dispositif de changement d’échelle comme un mouvement anti-mimétique, extrayant l’objet de son cadre normal et le projetant en dehors de tout contexte.

1.    Le pouvoir du magicien

René Magritte. Tenter l’Impossible, 1928. Musée Municipal d’Art de Toyota

Cet espace rassemble trois des quatre autoportraits connus de Magritte dans lesquels il a exploré le potentiel de l’artiste en tant que magicien tout en suggérant une attitude ironique envers les mythes relatifs au créateur de génie. Magritte n’était pas intéressé à décrire son apparence ou à raconter sa vie à travers ces œuvres. Ses autoportraits sont des prétextes pour introduire la figure de l’artiste et le processus créatif dans la peinture.

Dans Tenter l’Impossible (1928) On voit Magritte peindre une femme nue ; il est réel mais elle n’est que le produit de son imagination, suspendue entre l’existence et le néant. C’est une version du mythe de Pygmalion, de la création artistique identifiée au désir et à la puissance de l’imagination pour produire la réalité. La Lampe du Philosophe (1936) présente la rencontre entre deux éléments fétiches de l’artiste, qui ont tous deux une symbolique sexuelle; le nez et la pipe. Dans magicienne (1951) on voit le peintre utiliser ses superpuissances pour se nourrir. Un groupe d’autoportraits photographiques complète cette première section de l’exposition.

2.    Image et mot

René Magritte. La trahison des images. Cela continue de ne pas être une pipe, 1952. Collection privée, Belgique

Les mots étaient un dispositif habituel utilisé dans les peintures et collages cubistes, futuristes, dadaïstes et surréalistes. Magritte les introduit dans son travail lors de son séjour à Paris entre septembre 1927 et juillet 1930, alors qu’il est en contact étroit avec le groupe surréaliste parisien. Pendant ces années, il a créé son tableaux – mots, peintures dans lesquelles les mots se combinent avec des images figuratives ou des formes semi-abstraites dans le cas des premières tandis que dans celles de 1928 et 1929, ils sont montrés seuls, fixés dans des cadres et des silhouettes et presque toujours dans l’écriture de manuels scolaires.

Dans le premier cas, l’image et le mot coïncident rarement, ce qui déconcerte le spectateur et encourage la réflexion. L’aspect important de ces œuvres n’est pas les objets désignés mais l’apparence de contradiction entre ce que montre l’image et ce que dit le texte. Les mots nient l’image et l’image nie les mots, établissant une séparation entre l’objet et sa représentation. Son paradoxe suprême est de nier l’existence de tout paradoxe. Lorsque les mots remplacent l’image et deviennent les seuls protagonistes, ils sont presque toujours représentés à l’intérieur d’un cadre incurvé comme un rouleau de pain de bande dessinée. L’écriture réapparaît dans l’œuvre de Magritte en 1931 dans des répliques ou des variantes de ces peintures et rarement dans de nouvelles inventions.

3.    Figure et contexte

René Magritte. La Vue Amoureuse, 1935. Collection privée, avec l’aimable autorisation de Guggenheim, Asher Associates

La production de collages et papiers collés n’est pas particulièrement étendue dans la production de Magritte bien que leur influence soit évidente tout au long de sa peinture et donc tout au long de l’exposition. La première étape dans la réalisation d’un collage est le découpage et la découpe génère une grande partie des images de Magritte, créant un monde cloisonné, stratifié, compartimenté de plans qui sont en partie dissimulés et en révèlent en partie d’autres plus loin dans l’espace pictural.

Entre 1926 et 1931, l’influence du collage devient plus intense. Les peintures de Magritte se sont maintenant remplies de plans percés et déchirés et de silhouettes qui simulent du papier découpé et se dressent verticalement comme des éléments de décors de théâtre. En 1927, l’artiste commence à évoquer le jeu des enfants consistant à plier et découper du papier pour créer des chaînes de motifs géométriques et symétriques répétés. Il en résulte une sorte de treillis, un de ces éléments qui révèlent et dissimulent simultanément ceux qui sont si caractéristiques de l’artiste.

René Magritte. Haute Société, 1965 o 1966. Fundación Telefónica

Un autre dispositif fréquemment utilisé est l’inversion de la figure et de l’arrière-plan, transformant des corps solides en vides ou en trous à travers lesquels nous voyons un paysage ou une zone remplie de quelque chose comme le ciel, l’eau ou la végétation. Le contour appartient à l’objet et non à l’arrière-plan et préserve la présence fantomatique de l’objet. Magritte a utilisé ce jeu d’inversion de la figure et du fond pour développer son exploration du mimétisme, qui fait l’objet d’une autre section de l’exposition.

4.    Image et fenêtre

Devant une fenêtre vue de l’intérieur d’une pièce, j’ai placé un tableau qui représentait exactement la partie du paysage dissimulée par ce tableau. Ainsi, l’arbre représenté dans le tableau dissimulait l’arbre situé derrière lui, à l’extérieur de la pièce. Pour le spectateur, l’arbre était dans la peinture à l’intérieur de la pièce et en même temps, à travers le processus mental, il était à l’extérieur, dans le paysage réel. C’est ainsi que nous voyons le monde; nous le voyons en dehors de nous-mêmes mais néanmoins nous n’en avons qu’une représentation en nous.

René Magritte. La Clé des Champs, 1936. Museo Nacional Thyssen – Bornemisza, Madrid

La peinture à l’intérieur de la peinture est un thème iconographique qui a parfois acquis une apparence ambiguë dans le travail des Maîtres anciens. Héritier de la tradition des jeux en trompe-l’œil, il devient toujours chez Magritte une ruse et conduit à la disparition du tableau. L’artiste a littéralement adopté la métaphore classique qui compare le tableau à une fenêtre et l’a poussée au plus loin: si le tableau est une fenêtre, le tableau parfait serait complètement transparent, c’est-à-dire invisible. La perfection de la peinture consiste à disparaître, et Magritte atteint presque ce point puis s’arrête. Il ne cherchait cependant pas une disparition soudaine et permanente, mais plutôt une disparition progressive qui laisserait toujours le spectateur dubitatif si nous voyons vraiment ce que nous pensons voir.

L’exposition rassemble des exemples remarquables tels que Les Promenades d’Euclide (1955). Magritte crée ici une série de cadres animés, l’un à l’intérieur de l’autre; le bord du tissu, la fenêtre, les rideaux. Il s’éloigne ainsi de plusieurs degrés de la réalité. La peinture perd ses privilèges et ne devient qu’un des divers dispositifs de cadrage. Dans La Clé des Champs (1936), œuvre fondamentale de la collection permanente du Musée Thyssen, la peinture disparaît ou plutôt ses pouvoirs sont transférés à la fenêtre, dont le verre cesse d’être transparent et se révèle mystérieusement comme une surface peinte. Le tableau disparaît mais il revient dans les fragments de verre.

5.    Visage et masque

René Magritte. Le Grand Siècle, 1954. Musée d’art de Gelsenkirchen

Depuis sa première apparition en 1926-1927, la figure vue de derrière réapparaît constamment dans l’œuvre de Magritte et accompagne un large éventail d’énigmes ; avec sa face cachée, elle est le parfait témoin silencieux du mystère. La figure vue de derrière remonte à la peinture médiévale tardive, mais elle n’est devenue significative que lorsque Friedrich en a fait le motif principal de ses peintures. À la fin du XIXe siècle, Arnold Böcklin a ravivé ce motif romantique en tant qu’expression de nostalgie et de mélancolie et de Böcklin, il l’a transmis à Giorgio de Chirico et de lui à Magritte.

La figure vue de dos nous montre le paysage et comment le contempler, nous y introduisant. Le regard de la figure conduit nos yeux vers l’horizon et encourage la profondeur de perspective, mais le corps de la figure nous cache ce regard. La figure de derrière rend le spectateur conscient de l’acte de regarder et l’acte de contemplation est élevé au pouvoir de deux. Le spectateur passe de l’admiration du paysage à l’admiration de l’acte de ce spectateur inclus dans le tableau.

Avec Magritte, nous trouvons également une symétrie récurrente dans laquelle une figure vue de derrière accompagne une autre figure vue de face avec le visage caché, qui sont deux façons complètement différentes de cacher le visage. Cela se fait souvent avec un chiffon blanc couvrant la tête ou dans certains cas tout le corps. La tête couverte est liée à la fascination précoce de Magritte pour Fantômas, le héros d’une série de romans populaires dont la tête était couverte et dont l’identité n’a jamais été révélée, et aussi avec un souvenir d’enfance; le suicide de sa mère qui a sauté dans une rivière. Lorsque son corps a été retrouvé, sa tête était couverte par sa chemise de nuit.

René Magritte. Shéhérazade, 1950. Collection privée, courtesy Galerie Vedovi, Bruxelles

Les cercueils dans le Perspective la série peut également être considérée comme une variante sur la tête couverte. Dans ces œuvres, Magritte a sélectionné diverses icônes du portrait bourgeois afin de les boycotter avec son humour noir. Le titre de la série reflète les pouvoirs de clairvoyance du peintre, qui est capable de voir les gardiennes dans leur état futur. Ce sont parodiques vanité images, moqueries memento mori qui rient de la mort et de l’immortalité des grandes icônes de la peinture.

La paréidolie, dans laquelle des images significatives sont lues dans des objets inanimés comme des substituts plus ou moins approximatifs du visage humain, est un dispositif utilisé par Magritte dans Schéhérézade (1950) et dans la série de nus encadrés par leurs cheveux.

6.    Mimétisme

[…] J’ai trouvé une nouvelle possibilité que les choses peuvent avoir: celle de devenir progressivement autre chose, un objet se fondant dans un autre objet que lui-même. […] De cette façon, j’obtiens des images dans lesquelles « l’œil doit penser » d’une manière totalement différente de l’habituelle.

René Magritte. L’Avenir des Statues, 1932. Musée Lehmbruck, Duisbourg

Découverte (1927) marque la première utilisation par Magritte de la méthode de la métamorphose qui deviendra plus tard son approche la plus fréquemment utilisée, en particulier pendant la guerre. Dans ce tableau, la métamorphose mimétique semble émerger du corps alors que dans d’autres œuvres, elle procède de l’extérieur, de l’espace environnant. Un corps dissous dans l’air fait également l’objet de L’Avenir des Statues (1932), un moulage du masque funéraire de Napoléon camouflé avec un ciel bleu et des nuages blancs. Tout comme la mort dissout le soi, la peinture dissout le volume du plâtre dans le bleu du ciel. Ces œuvres anticipent une série importante qui a commencé en 1934 avec Magie Noire, dans lequel le corps nu d’une femme ne disparaît pas car il conserve ses formes et ses contours et change plutôt de couleur. Le corps devient caméléon et se trouve maintenant à mi-chemin entre deux mondes; la chair et l’air, la terre et le ciel.

Dans certaines de mes peintures, la couleur apparaît comme un élément de pensée. Par exemple, une pensée composée d’un corps de femme de la même couleur que le ciel bleu.

René Magritte. Oiseau du Ciel, 1966. Collection privée, courtesy Galeries Di Donna, New York

Magritte s’est particulièrement intéressé aux oiseaux, les utilisant pour présenter un large éventail de métamorphoses mimétiques et les transformant en ciel, comme dans retour (1940). Dans d’autres exemples, un navire peut devenir la mer, comme dans les quatre versions de séducteur qu’il a peint entre 1950 et 1953, dans lequel le navire à peine visible est représenté comme rempli de la couleur et de la texture des vagues. Magritte l’a décrit comme si les éléments étaient des êtres vivants: l’eau imite le voilier et l’air imite l’oiseau, ou mieux dit, l’eau rêve d’un bateau camouflé en eau, le ciel rêve d’une colombe vêtue du ciel. Le paradoxe du mimétisme de Magritte réside dans le fait que la subordination de la figure à son décor peut rendre cette figure plus visible, mais visible par son absence.

René Magritte. La Signature Vierge, 1965. Galerie Nationale d’Art, Washington, Collection de M. et Mme Paul Mellon

Le mimétisme de Magritte peut également être vu comme une conséquence de son intérêt pour inverser la figure et l’arrière-plan. L’animal ou l’objet mimétique passe d’une figure à un arrière-plan, ou ils fusionnent avec l’arrière-plan de sorte qu’ils ne peuvent pas être séparés, comme dans La Signature Vierge (1965) où le cavalier et son cheval se fondent dans les arbres comme le visible fusionne avec l’invisible.

Si quelqu’un monte à cheval dans un bois, on le voit d’abord, puis non, mais on sait qu’ils sont là. […] nos pouvoirs de pensée saisissent à la fois le visible et l’invisible.

7.    Mégalomanie

Dans mes peintures, j’ai montré des objets situés là où nous ne les trouverions jamais. […] Compte tenu de mon désir de faire hurler à haute voix les objets du quotidien, ils doivent être disposés dans un nouvel ordre et acquérir un sens dérangeant.

René Magritte. Mégalomanie (La Folie des grandeurs), 1962. La Collection Menil, Houston

Le mouvement opposé au mimétisme, à la tendance d’un organisme à se soumettre à son environnement et à s’y dissoudre, est la mégalomanie, qui tend à libérer un corps ou un objet de son contexte. Avec Magritte, la mégalomanie devient un changement d’échelle par lequel il extrait un objet ou un corps de son contexte habituel et le situe ailleurs. Alors qu’avec le mimétisme, le corps est dévoré par l’espace, avec la mégalomanie, c’est le corps qui consomme le contexte environnant.

L’élément agrandi dans les œuvres de l’artiste peut être un objet naturel – une pomme, un rocher, une rose – et avoir une forme arrondie, contrastant avec l’espace cubique artificiel dans lequel il est enfermé. Lewis Carroll, que Magritte admirait beaucoup et qui fut reconnu par André Breton comme un précurseur du surréalisme, était particulièrement expert dans ce dispositif. La source d’inspiration la plus évidente que Magritte a tirée d’Alice de Carroll est sa série de peintures intitulée La Folie des grandeurs. Leur motif principal est un torse féminin sculpté divisé en trois parties creuses, chacune s’emboîtant dans la suivante comme des poupées russes ou comme un télescope.

René Magritte. L’Art de la Conversation, 1963. Collection privée

Lorsque la mégalomanie se manifeste à l’extérieur, elle prend la forme d’une ascension. L’agrandissement et la lévitation produisent le même effet de retirer l’objet ou la personne de leur contexte et de les projeter dans un nouveau, neutre, où ils sont beaucoup plus visibles. Parmi les exemples de Magritte, citons les cloches qui explosent à une taille énorme et s’élèvent comme de grands ballons, des planètes ou des vaisseaux spatiaux; les hommes en chapeau melon conversant dans les airs; ou le rocher qui devient le motif principal de diverses peintures tardives.

En pensant que la pierre doit tomber, le spectateur a une plus grande sensation de ce qu’est une pierre que s’il était au sol. L’identité de la pierre devient beaucoup plus visible. De plus, si la roche était au sol, vous ne remarqueriez pas du tout le tableau.

L’essence d’un objet se révèle lorsque nous le plaçons dans une situation inattendue, voire plus, dans une situation incompatible avec sa nature intrinsèque.

MAGRITTE. PHOTOGRAPHIES ET FILMS

La machine Magritte est complété par une installation au premier étage du Musée. Il présente une sélection de photographies et de films amateurs réalisés par l’artiste lui-même, grâce à l’aimable autorisation des éditeurs Ludion. Magritte ne s’est jamais considéré comme un photographe mais il s’est sans doute intéressé au cinéma et à la photographie dans sa vie quotidienne.

Redécouverts au milieu des années 1970, ces instantanés de ses amis surréalistes, divers autoportraits et photographies des peintures sur lesquelles il travaillait, ainsi que des bobines de films tournés par l’artiste sont présentés dans l’exposition à la manière d’un album de famille. Ils comprennent des images remarquables remplies de l’esprit unique de Magritte.

Magritte. Photographies et films est une sélection de pièces de l’exposition L’Image Révélatrice, sous le commissariat de Xavier Canonne, directeur du Musée de la Photographie de Charleroi. Cet affichage peut être visité gratuitement.

Author: Elsa Renault